L'amour des fleurs ... prélude à la voie des fleurs d'Okakura
"Pour ce qui est de l'humanité, à l'évidence, la poésie amoureuse a dû naître en même temps que l'amour des fleurs. Comment mieux décrire, en effet, l'épanouissement d'une âme virginale qu'en la comparant à une fleur, si douce dans son inconscience, parfumée parce que silencieuse?
En offrant la première guirlande de fleurs à sa compagne, l'homme primitif a transcendé la brute. Par ce geste qui l'élevait au-dessus des nécessités grossières de la nature, il est devenu humain. En percevant l'usage subtil de l'inutile, il est entré dans le royaume de l'art.
Dans la joie ou dans la tristesse, les fleurs sont nos amies fidèles. Nous mangeons, nous buvons, nous chantons, nous dansons, nous flirtons en leur compagnie. Nous nous marions et nous baptisons avec des fleurs. Et nous n'oserions mourir sans elles.
Nous avons célébré les dieux avec le lys, médité avec le lotus, chargé sur les champs de bataille avec la rose et le chrysanthème. Nous avons même essayé de parler la langue des fleurs.
Comment pourrions-nous vivre sans elles? N'est-il pas effrayant d'imaginer un monde veuf de leur présence! Quelle consolation n'apportent-elles pas au chevet du malade, quelle lumière sanctifiante aux ténèbres des esprits épuisés?
Leur sereine tendresse restaure notre confiance chancelante en l'univers, tout comme le regard vif d'un bel enfant ressuscite nos espérances perdues. Quand nous gisons dans la poussière, les fleurs s'attardent éplorées sur nos tombes ..."
Kakuzô OKAKURA "Le Livre du thé"